

La visite à laquelle nous vous invitons présente la vie d’une classe d’une école multidegrés des Montagnes neuchâteloises, filmée durant toute une année par le cinéaste Yves Yersin et son équipe. Les différentes « salles » qui structurent la visite permettent ainsi de découvrir diverses démarches pédagogiques qui sont au cœur d’une éducation globale des enfants-élèves.
Gilbert Hirschi et Yvonne Cook se sont rencontrés lors d’un vernissage d’exposition au Schulmuseum de Berne en 2016. La Fondation vaudoise du patrimoine scolaire (FVPS) était à la recherche de documents visuels susceptibles d’illustrer quelques-uns des courants pédagogiques les plus influents des dernières décennies. Apprenant ainsi que plus de 1000 heures de séquences de film tournées tout au long d'une année dans une même classe par Yves Yersin étaient potentiellement disponibles, la FVPS a décidé de lancer un projet permettant à la fois de valoriser ces matériaux et d'illustrer diverses démarches pédagogiques particulièrement intéressantes.
Une première recherche a été conduite de 2016 à 2018. Il fallait s’assurer de la disponibilité de ces documents cinématographiques, les localiser, libérer les droits d’auteur, retrouver les scripts, convertir les images sonores dans un logiciel accessible et actualisé sans perte de qualité, initier un collaborateur ou une collaboratrice à son usage. MM. Robert Boner, Yves Yersin et Patrick Tresch nous ont guidé tout au long de cette première étape.
La FVPS a réservé alors un certain montant pour la réalisation du projet. Une commission ad hoc a été constituée : Gilbert Hirschi, l’enseignant de l’école vedette, Yvonne Cook, membre du conseil de la FVPS, initiatrice du Musée virtuel des écoles vaudoises, Jean-François De Pietro, chercheur à l’Institut de recherche et de documentation pédagogique (IRDP) qui avait contribué entre 2010 et 2013 à une première analyse des matériaux du film afin d’imaginer des exploitations dans le contexte scolaire, Alain Chaubert, formateur à la Haute École Pédagogique du canton de Vaud (HEP) et enseignant, Jürg Schwarz, conseiller et coach. Toutes ces personnes se sont engagées bénévolement. Les premières rencontres se sont déroulées à l’IRDP sous la direction d’Yvonne Cook, initiatrice du projet. Grâce au soutien inconditionnel de Patrick Tresch, la FVPS a pu disposer des 1000 heures de rushes converties dans un logiciel d’accès plus léger. Sophie Jacot, jeune monteuse, engagée par la FVPS, a retrouvé l'ensemble des scripts. Ce premier travail terminé, l’équipe TN est alors partie à la recherche de courtes séquences significatives.
Cette recherche, fondamentale et titanesque, s’est déroulée de 2018 à 2022 et a pu être menée à bien, malgré une période sociétale perturbée qui est évidemment venue compliquer le travail.
Ainsi, ces travaux portés par tous les membres de l’équipe TN sont désormais accessibles sur le site du Musée virtuel des écoles vaudoises (www.musee-ecoles.ch), sous la forme d’une visite-guidée. Yves Engetschwiler, développeur, a assuré avec engagement et brio toute la numérisation et la mise en ligne des documents et José-Pierre Bariatti, photographe et graphiste, a établi les liens avec les collections du musée virtuel.
Yves Yersin (1942-2018), réalisateur du film « Tableau noir » (2013), nous a laissé plus de mille heures de tournage effectuées dans la classe de Derrière-Pertuis (NE). Pour mieux connaitre ce cinéaste, rien de tel que de l’approcher sous des angles différents. Nous vous invitons par conséquent à vous rendre sur le site wikipedia qui contient une biographie succincte, une filmographie et propose quelques liens supplémentaires.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Yersin
Yves Yersin s’est exprimé à propos du film « Tableau noir » lors de sa présentation au festival de Locarno en 2013. Laissons-lui la parole !.
https://notrehistoire.ch/entries/pz89wrjrY0o
« Tableau noir » est un film qui présente mille facettes de l’école. C’est un bel outil pédagogique. Le portail romand de l’éducation aux médias e-media a édité un dossier pédagogique très complet à ce propos.
https://bdper.plandetudes.ch/uploads/ressources/4178/Tableau_noir_vf.pdf
Le tournage du film
Patrick Tresch, caméraman, s’exprime à propos du tournage de ce film documentaire et détaille les divers éléments que l’équipe, conduite par Yves Yersin, a dû solutionner.
https://sites.google.com/site/doptresch/realisateurs/yves-yersin
Dans un documentaire de Plan fixe, du 2 décembre 2014, sur Yves Yersin, Frédéric Maire (directeur de la Cinémathèque suisse) interpelle Yersin à propos de sa carrière professionnelle.
Yves en retrace quelques évènements marquants.
Il dit : « J’aime tout faire, j’aime le faire bien ». Et de conclure sur le tournage du film « Tableau noir » qui, pour lui, « illustre la transmission du savoir : pour capter ce moment charnière de transmission, instant très fragile, deux caméras ont été nécessaires, l’une filmant le récepteur et l’autre l’émetteur, ce qui a permis de coupler ces instants précieux, et si révélateurs du métier d’apprenant et d’enseignant ».
https://www.plansfixes.ch/films/yves-yersin/
Dossier de présentation du scénario « La montagne initiatique »
Préalablement au tournage, Yves Yersin a rédigé une présentation détaillée du projet du documentaire traitant de l’école primaire de Derrière-Pertuis. Ce dossier a comme titre « La montagne initiatique ». Dossier présenté dans son intégralité en page tournante.
L’École Primaire Intercommunale de Derrière-Pertuis est située dans un hameau de cinq maisons, à 1153 mètres d’altitude, sur les crêtes du Jura, au milieu des alpages, dans un paysage verdoyant parsemé de fermes isolées. Elle se trouve à la frontière entre régions francophones et germanophones – ou, plutôt, alémanophones – et a toujours eu de ce fait l’habitude d’accueillir également des élèves ayant le suisse allemand comme première langue. Il s’agit d’une classe à degrés multiples qui réunit des élèves de la 1re à la 5e année primaire.
Inspirée notamment des pédagogies actives, la démarche pédagogique développée par l’enseignant, Gilbert Hirschi, se caractérise par sa créativité : elle permet aux élèves d’accéder au mieux à des apprentissages différenciés et personnalisés, favorisant l’autonomie et la coopération, l’expression sous toutes ses formes langagières et artistiques. L’approche est globale et vise des apprentissages signifiants appuyés sur des situations concrètes.
La dimension relationnelle, entre enseignants et élèves, entre élèves, est au cœur de cette pédagogie qui favorise l’expression et le dialogue, les interactions et la motivation.
Un peu d’histoire…
L’histoire de l’école de Derrière-Pertuis remonte aux années 1830, lors de la création par des fermiers anabaptistes (chassés de la région de l’Emmental et venus vivre dans les montagnes) de trois écoles itinérantes alémaniques.
L’imposition du français a été légalement décidée dès 1853, mais elle se heurta à une forte résistance qui dura pratiquement un siècle.
Les communes francophones voisines, de leur côté, ont obtenu le statut d’école primaire publique vers 1860 et trois collèges vont voir le jour : La Joux-du-Plâne (1861), Derrière-Pertuis (1892) et Les Vieux-Prés (1893).
Souvent menacées de fermeture, les trois écoles de la Montagne ont été regroupées en une seule, à Derrière-Pertuis, en 1982. En 2008, malgré la lutte des habitants et des enseignants de la région, l’école a été définitivement fermée par les autorités scolaires neuchâteloises.
Une école singulière
Tableau Noir filme les deux dernières années d’existence de l’école de Derrière-Pertuis, mettant en évidence l’ambiance et la vie d’une classe à degrés multiples, offrant un voyage dans l’intimité d’une école de montagne.
Le film met en évidence, dans le quotidien et le détail, la pédagogie mise en place par l’enseignant principal et ses collègues, la vie des élèves, leurs contacts au quotidien, leurs émotions. On découvre ainsi une pédagogie de la communication et de l’échange, une pédagogie de la collaboration et de l’entraide entre élèves d’âges différents, qui valorise le travail de groupe et les échanges entre grands et petits à propos des apprentissages, une pédagogie au contact des éléments et de la nature, une pédagogie de l’action, du mouvement, qui implique l’individu dans tout son être, une pédagogie de la créativité qui donne une grande place à l’art tout en s’inscrivant pleinement dans son contexte social en accordant une grande place aux relations avec les familles et avec la vie locale de ce coin de montagne. Autrement dit, une pédagogie qui donne sens aux apprentissages…
Les images d'Yves Yersin donnent à voir cette pédagogie, tout en montrant, en acte, de manière concrète, ce que recouvrent des notions comme « situation problème », « école en plein air », « pédagogie du projet » ou « échanges ».
Une autre spécificité de cette école est constituée par l’ouverture vers d’autres horizons : les sorties dans la nature, l’échange avec des correspondants d’autres régions, d’autres pays, les sorties culturelles, géographiques, la rencontre des habitants et la découverte de leurs occupations professionnelles, autant d’occasions de favoriser des apprentissages et des connaissances dans des contextes diversifiés, permettant aux élèves de dépasser l’apprentissage scolaire « entre quatre murs ».
Le collège comme bâtiment est à l’image de ces démarches : il n’y a pas, comme dans les autres écoles, la seule « salle » de classe… On y ajoute le galetas, la salle pour les bricolages, le garage où l’on entrepose les décors du spectacle en cours d’élaboration, le corridor pour la photocopieuse, la cour, les pâturages… autant de lieux divers qui multiplient les possibles de la vie scolaire et des apprentissages et favorisent la coopération entre élèves. Les salles présentées dans la visite proposée ici reprennent en quelque sorte, métaphoriquement, cette organisation « socio-pédagogique » de l’espace.